Paroisse Notre Dame de l'Estuaire
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Paroisse Notre Dame de l'Estuaire
Prendre le temps de lire et de méditer la Parole de Dieu
13/12/2022
« Crie de joie, femme stérile, toi qui n’as pas enfanté ; jubile, éclate en cris de joie, toi qui n’as pas connu les douleurs ! Car les fils de la délaissée seront plus nombreux que les fils de l’épouse, – dit le Seigneur. Élargis l’espace de ta tente, déploie sans hésiter la toile de ta demeure, allonge tes cordages, renforce tes piquets ! Car tu vas te répandre au nord et au midi. Ta descendance dépossédera les nations, elle peuplera des villes désertées. » L’appel du prophète Isaïe nous ramène vers la lignée des femmes stériles qui portent en elles la promesse du Vivant. Et comment ne pas revenir sur la figure, à peine entrevue, de Rachel, la sœur cadette de Léa ?
Car déjà sa rencontre avec Jacob auprès d’un puits est comme le sceau d’une alliance à venir. Cela fut vrai pour Moïse l’exilé, et Rébecca l’épouse d’Isaac… Même rencontre et même promesse des siècles plus tard auprès d’un autre puits à Sychar en Samarie. Ce lien intrinsèque qui se tisse entre l’eau, la femme et l’alliance est encore rappelé par le puits de Myriam, la sœur de Moïse, qui, selon la tradition juive, suivit le peuple hébreu dans le désert pendant ses quarante années de pérégrinations. La puissance de l’eau est celle de la vérité, de la révélation, les Sages d’Israël faisant dériver le mot « eau » (maïm) comme un pluriel du mot « ma » (« quoi ?), la présence du puits devenant en quelque sorte le garant de l’authenticité, du sens de la rencontre.
Figure ambivalente toutefois que celle de Rachel, plus proche des nations que sa sœur Léa. C’est elle qui va dérober les idoles du foyer de son père Laban lorsque Jacob prend la décision de s’enfuir avec sa famille après la naissance de Joseph. Il y a comme un lien secret mais puissant entre cette fuite et celles des Hébreux au sortir de l’Égypte, ces objets-fétiches de Laban, ramenés d’Ur en Chaldée rappelant les trésors égyptiens que les fils d’Israël emmenèrent dans leur exode sur l’ordre de l’Éternel, Béni soit son Nom. Tout se passe comme si les deux exils avaient également comme finalité de réintégrer les mémoires de Babylone et de l’Égypte (les païens) au sein d’Israël qui porte le projet de salut pour tous les peuples. Mais Rachel a agi trop vite ou sans ordre de Dieu, voire à la place de Dieu. Voilà qui est très risqué. De retour sur la terre de Canaan, Rachel est à nouveau enceinte. Mais quand vient l’heure de la délivrance, Rachel souffre terriblement. Elle va même en mourir. Dans un dernier souffle, elle nomme l’enfant Ben-Oni (« Fils de ma douleur »), ce que Jacob s’empresse de modifier en Ben-Yamin (« Fils de ma droite »). Il ne sait que trop le poids de la Parole ! N’est-ce pas cela qui va maintenant lui enlever sa bien-aimée. En effet, à Laban qui recherchait ses idoles domestiques, Jacob avait répondu de bonne foi : « Celui que tu trouveras en possession de tes dieux, qu’il cesse de vivre ! » (Gn 31, 32). Et c’est bien ce qui arriva tristement pour Rachel (Gn 35, 16)…
Le corps de Rachel ne fut pas conduit au tombeau de Machpéla à Hébron, où Sarah, Rebecca (et plus tard Léa) sont enterrées, mais elle fut inhumée près de Bethléem où l’on vénère toujours sa tombe (Mt 2, 18). Selon le midrash, Jacob s’en expliqua auprès de Joseph, le fils de Rachel, sur son lit de mort, lorsqu’il lui ordonna de ramener sa dépouille d’Égypte pour l’inhumer à Machpéla : Dieu avait décidé du lieu du tombeau de sa mère à Bethléem pour qu’elle soit témoin de l’exil de ses descendants vers Babylone et qu’elle prie pour leur retour. Ainsi Rachel est le visage du Peuple de la Promesse se tournant vers l’universel, quand Léa incarne l’identité du Peuple de l’Alliance. « A elles deux, Rachel et Léa ont édifié la maison d’Israël » comme le rappelle le Livre de Ruth (4, 11). Et si Léa est la mère de Juda qui n’a jamais quitté Jacob, et qui aura comme descendant David, l’ancêtre du Messie, une autre vieille tradition d’Israël rapporte que ce Messie sera accompagné d’un « autre messie, fils de Joseph, qui ramènera au sein d’Israël les valeurs répandues parmi les nations. » Deux femmes pour enfanter un peuple et un messie pour les nations et faire aboutir le projet divin qui embrasse toute l’humanité.
P. Pascal-Grégoire