Pas de médiocre moyenne

Pour la première fois sur notre chemin de Carême, nous rencontrons le prophète Ezéchiel. Venu avec la première vague d’exilés lors de prise de Jérusalem en 597 - la ville sera prise à nouveau dix ans plus tard, incendiée et démantelée. C’est alors que le Temple de Salomon sera détruit -,

ce prêtre fut assigné à résidence à « Tel Aviv », une bourgade près de Nippour près du fleuve Euphrate. C’est là que l’esprit du Seigneur vint fondre sur lui. Il lui est donné alors de comprendre que la Seigneurie de Yahvé ne peut être contenue dans un Temple, une ville particulière fusse Jérusalem ou même un peuple. 

S’il n’est plus possible d’honorer Dieu par des sacrifices rituels selon les liturgies grandioses du Temple, Ézéchiel fait l’expérience qu’il est toujours possible de célébrer et d’accueillir la Présence divine par une fidélité nouvelle, plus intérieure à l’Alliance et une rectitude du cœur. Un culte spirituel peut prendre le relais du culte sacrificiel. Le lieu de l’expérience divine ne sera plus un espace consacré mais celui de la sainteté d’un peuple. D’où ces exigences morales que Ézéchiel ne cesse de rappeler à ses compatriotes exilés. 

Mais ceux-ci ne raisonnent pas de la même manière qu’Ézéchiel. Le prophète rappelle que ce qui compte pour Dieu, ce sont les sentiments qui habitent notre cœur au moment présent. Si le juste vit d’une façon juste et conforme à l’Alliance, il vivra. Et pareillement le méchant, s’il se détourne de sa conduite, et vit maintenant de façon juste, vivra aussi. Mais si le juste cesse d’être fidèle et en vient à se conduire mal, il mourra. Et les contemporains du prophète Ézéchiel de râler : « la conduite du Seigneur n’est pas bonne. » Qu’est-ce qu’ils ont en tête en disant cela ? Ils se montreraient plus partisans d’un jugement qui s’apparenterait plus à un contrôle continu : on compte les trimestres positifs et les trimestres négatifs et on fait la moyenne ! Se serait trop bête que deux années de débauches ou de bénéfices crapuleux viennent gâcher bêtement toute une vie d’observance et de mesure. Et l’amour qui fait vivre dans tout ça ? Comme si la vie avec Dieu procédait d’une retraite par capitalisation !

Dieu se méfie un peu de cette curieuse pensée capitalistique. Et de s’indigner que l’on puisse imaginer qu’il agisse de même.  Alors qu’une seule chose compte à Ses yeux : ce que je suis maintenant devant Lui, la vie que je partage avec mes frères. Il ne sert de rien de présenter notre passé avec orgueil ou avec désolation. Mais aujourd’hui ?  C’est à cette urgence que nous pressait il y a déjà plus d’un siècle la petite Thérèse de Lisieux avec ses mots si justes : « Hier est trop loin, demain ne m’est pas accessible : je n’ai qu’aujourd’hui pour aimer. » Logique d’action contre logique d’accumulation. Peut-être que nous pouvons trouver cette logique dérangeante, désarmante. Mais c’est cette logique divine qui fait qu’une crapule de la pire espèce, capable toutefois d’un peu d’humanité, a pu entendre à sa dernière heure : « aujourd’hui même avec moi tu seras en paradis ».

P. Pascal-Grégoire