Fuis les idoles qui veulent ta mort.

Dans les steppes de Moab, Moïse pressent que son propre chemin va bientôt prendre fin. Il réunit alors une dernière fois les tribus d’Israël et leur commente à nouveau la Loi (c’est le sens du mot « Deutéronome », une « seconde fois »), un peu comme son testament spirituel. 

Nous avons entendu cette insistance, cette injonction poignante, presqu’un cri : « Ce que je te commande aujourd’hui, c’est d’aimer ton Dieu, de marcher dans ses chemins, de garder ses commandements, ses décrets et ses observances ». Pourquoi cela ? Pour être certain de bien se mettre dans une perspective de vie. Il dépend d’abord de nous, de notre volonté, de notre intelligence, d’orienter le cours de notre marche vers la vie. Car il y a toujours deux options possibles placées devant nous : la vie ou la mort ; la bénédiction ou la malédiction.

 Car insiste Moïse, laisser tomber la Parole que Dieu nous a adressée, c’est inéluctablement, invariablement laisser les idoles prendre la place de Dieu. Mais pourquoi pas après tout ? Les idoles, cela fait un brin exotique, ça change du quotidien, du déjà vu… Le problème, c’est que les idoles sont fondamentalement meurtrières. Elles ont soif de sang…, nous préviennent tant la Loi de Moïse que la prédication des prophètes. Les idoles se contrecarrent de l’existence et de la joie de leurs dévots. Ce qu’elles recherchent, toutes, invariablement, c’est la destruction de la vie humaine pour assurer leur propre emprise. Dans le Proche-Orient de l’époque de Moïse, des parents n’hésitaient pas à sacrifier un de leurs enfants pour se concilier les faveurs de ces simulacres d’or ou bronze. 

Bien sûr, nous nous disons que nous avons bien évolué et que les idoles relèvent aujourd’hui de la muséographie. Est-ce si vrai ? Le pape François dans l’encyclique Fratelli Tutti dresse sans concession les idoles de notre temps : nouvelles formes d’égoïsme, perte du sens social au profit d’une prétendue défense des intérêts nationaux, affirmation de puissances économiques transnationales, recettes de marketings visant à des résultats immédiats, l’affirmation que certaines personnes « ne servent plus, ne servent à rien ou ne servirait à rien » au nom du profit et du confort hédoniste, mise en place de groupes mafieux se présentant comme « protecteurs », montée en puissance de l’indifférence commode, froide et globalisée…. Hélas, cette  liste est loin d’être exhaustive et nos idoles contemporaines sont bien plus nombreuses que les douze dieux de l’Olympe : il n’y a qu’à relire le premier chapitre de Fratelli Tutti pour s’en persuader si nécessaire… Toutes ces idoles, celles d’hier comme celles d’aujourd’hui, ont un point commun. Elles sont des killeurs, des tueuses : de nos esprits, de nos corps parfois…, de notre avenir ou de notre fraternité sûrement.

Et nous ? Si on se sent souvent impuissant  devant ces grandes structures de péchés, on peut toutefois prendre le temps en ce début de carême de faire le décompte de nos idoles à domicile, de ces petites idoles qui viennent nous vider de nous-mêmes, de notre volonté ou de notre bonheur. Ces pressions qui nous obligent à jouer un rôle de composition, à vandaliser notre capacité à entrer en relation à cause de codes sociaux qui nous sont imposés, à vampiriser notre temps au profit des écrans addictifs, à détourner les yeux pour éviter que ne se réveille en moi un cœur compatissant…. Si nous commencions en ce début de carême  par briser une ou deux de ces idoles qui viennent pourrir notre vie ? La Parole de Dieu vient renverser les idoles de leur piedestal. C’est bien dans cet espace intérieur désincarcéré, libéré et renouvelé par la Présence « que se trouve ta vie, une longue vie sur la terre que le Seigneur a juré de donner à tes pères, Abraham, Isaac et Jacob. »

P. Pascal-Grégoire