Paroisse Notre Dame de l'Estuaire

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Anne, la prière ultime

20/12/2022

Anne, la prière ultime

 « Anne lui dit alors : ‘ Écoute-moi, mon seigneur, je t’en prie ! Aussi vrai que tu es vivant, je suis cette femme qui se tenait ici près de toi pour prier le Seigneur. C’est pour obtenir cet enfant que je priais, et le Seigneur me l’a donné en réponse à ma demande. À mon tour je le donne au Seigneur pour qu’il en dispose. Il demeurera à la disposition du Seigneur tous les jours de sa vie.’ Alors ils se prosternèrent devant le Seigneur. » Dans la tradition juive, Anne passe pour l’une des trois grandes prophétesses, avec Myriam et Déborah, que Dieu a envoyées à son peuple. Après de longues années de stérilité (dix-neuf selon la tradition), Anne avait eu la joie de devenir mère.

 

     Elle avait accompagné son mari Elcana au Sanctuaire de Chilo et y avait prié et fait le vœu, si sa demande était exaucée, de « donner à Dieu pour tous les jours de sa vie » (1 Sa 1, 11) l’enfant qu’elle mettrait au monde. Ainsi, lorsqu’il fut sevré, elle amena son fils - qui deviendra le prophète Samuel -, au prêtre Eli. La liturgie nous invite ce matin à la rejoindre au début de sa prière d’action de grâce. Il nous faudrait avoir la curiosité de poursuivre la lecture de sa prière qui se continue au chapitre suivant sur dix versets qui font que les rabbis d’Israël voient en Anne l’annonciatrice du Messie de Yahvé. 

 

Ainsi au début de cette prière, Anne s’exclame « Mon cœur se délecte en Dieu, ma corne (kéren que l’on traduit encore par « force ») s’élève par Dieu » (1 S 2, 1). Le commentaire des Pères d’Israël fait remarquer que le verset, « Anne a dit : ma corne, et non mon vase », est une allusion prophétique au fait que les rois qui seront oints au moyen d’une corne d’huile - tels David et Salomon auront une dynastie durable, alors que ceux, comme Saül et Jéhu, qui seront oints avec un vase, récipient d’argile, récipient fragile, ne donneront pas naissance à une dynastie. Ainsi prophétise Anne la mère de Samuel le prophète qui conféra l’onction messianique aux rois Saül et David (1 S 16, 10). D’ailleurs, selon le Targoum Yonathan (contemporain de l’Incarnation), toute la prière d’Anne décrit l’histoire à venir du peuple élu. Ainsi le verset 1, « ma corne s’élève en Dieu » renvoie aux victoires sur les Philistins au temps de son fils Samuel, le verset 2 ; « Nul n’est saint comme Dieu » au roi assyrien Sénachérib. Au verset 4, « l’arc des forts est brisé » fait allusion à la défaite d’Antiochus Épiphane par les Hasmonéens et au verset 10 se profilent les guerres de Gog et Magog qui précéderont l’avènement du Messie promis par l’Eternel : « ses agresseurs sont foudroyés... Dieu juge les confins de la terre, Il donnera la puissance à Son roi et élèvera la corne de Son oint »... 

 

La prière d’action de grâces d’Anne, portée par son désir de maternité, est apparue aux sages d’Israël comme le modèle même de la prière animée, emportée par le souffle divin. Ce n’est pas pour rien que le Magnificat entonné par Marie rappelle le cantique d’Anne la prophétesse : ce cantique est considéré comme la prière inspirée par excellence. Ainsi s’en souviendra bien plus tard un fleuron de la mystique juive, le Zohar : « Deux femmes ont dit des louanges de Dieu avec des paroles qu’aucun homme au monde n’a su dire, ce sont Deborah et Hannah (Anne). » Deux femmes en appellent une troisième qui fait route vers la cité de David, une autre femme qui saura, comme elles, saisir en sa prière et en son corps l’ampleur de l’initiative divine, son œuvre de salut pour le monde qui s’accomplit également dans l’exaucement de l’humble servante. « Nul n’est saint comme Dieu » : selon le Talmud, Anne est la première à le proclamer comme le septième et ultime nom de l’Eternel d’après la mystique juive. La jeune femme progresse jusqu’aux portes de Bethléem, elle qui porte le Nom qui est au-delà des Sept noms, le Nom par lequel tout homme sera sauvé, le Nom qui contient le mystère de toute chose, le Nom par lequel tout genou fléchit au ciel, sur terre et aux enfers… Marie, la fille et l’héritière d’Anne.

 

P. Pascal-Grégoire